Monday, June 6, 2022

Maurice Paléologue's diary entry, dated August 18 (New Style), 1914

Sources:

La Russie des tsars pendant la grande guerre, volume 1, pages 84 to 88, by Maurice Paléologue, 1921


An Ambassador's Memoirs, by Maurice Paléologue, translated by F. A. Holt, 1925


The diary entry:

Mardi, 18 août 1914.
Arrivé ce matin à Moscou, je me rends, vers six heures et demie, avec Buchanan, au grand palais du Kremlin. On nous introduit dans la salle de Saint-Georges, où sont déjà réunis les hauts dignitaires de l'empire, les ministres, les délégations de la noblesse, des bourgeois, des marchands, des corporations charitables, etc., une foule dense et recueillie.

A onze heures précises, l'empereur, l'impératrice et la famille impériale font leur entrée. Les grands-ducs étant tous partis pour l'armée, il n'y a, en dehors des souverains, que les quatre jeunes grandes-duchesses, filles de l'empereur, le césaréwitch Alexis, qui, s'étant blessé hier à la jambe, est porté sur les bras d'un cosaque, enfin la grande-duchesse Élisabeth-Féodorowna, sœur de l'impératrice, abbesse du couvent de Marthe-et-Marie de la Miséricorde.

Au centre de la salle, le cortège s'arrête. D'une voix pleine et ferme, l'empereur s'adresse à la noblesse et au peuple de Moscou. Il déclare que, selon la tradition de ses aïeux, il est venu chercher le soutien de ses forces morales dans la prière aux reliques du Kremlin; il constate qu'un élan magnifique soulève la Russie entière, sans distinction de race ni de nationalité; il conclut:

— D'ici, du cœur de la terre russe, j'envoie à mes vaillantes troupes et à mes valeureux alliés mon ardent salut. Dieu est avec nous! ...

Une longue clameur de hourrahs lui répond.

Tandis que le cortège se remet en marche, le grand-maître des cérémonies nous invite, Buchanan et moi, à suivre désormais la famille impériale, immédiatement après les grandes-duchesses.

Par le salle de Saint-Wladimir et le Vestibule sacré, nous atteignons l'Escalier rouge, dont le palier inférieur se prolonge, par une passerelle tendue de pourpre, jusqu'à l'Ouspensky Sobor, la cathédrale de l'Assomption.

A l'instant où l'empereur paraît, une tempête d'acclamations s'élève de tout le Kremlin, où un peuple immense se presse, tête nue, sur les esplanades. En même temps, toutes les cloches de l'Ivan Véliky rententissent. Et l'énorme bourdon de l'Ascension, construit avec le métal retiré des décombres de 1812, fait planer sur ce vacarme un bruit de tonnerre. Au delà, Moscou la sainte, avec ses milliers d'églises, de palais, de monastères, avec ses dômes d'azur, ses flèches de cuivre, ses bulbes d'or, étincelle sous le soleil, comme un mirage fantastique.

L'ouragan de l'enthousiasme populaire domine presque le fracas de cloches.

Le comte Benckendorff, grand-maréchal de la cour, s'approchant de moi, me dit:

— La voilà donc, cette révolution qu'on nous présageait à Berlin!

Il traduit ainsi probablement la pensée de tous. L'empereur a le visage radieux. La figure de l'impératrice reflète une joie extatique. Buchanan me glisse à l'oreille:

— Nous vivons actuellement une minute sublime! ... Pensez à tout l'avenir historique qui se prépare en ce moment, ici même!

— Oui. Et je pense aussi à tout le passé historique, qui s'est accompli ici même... C'est de cette place, où nous sommes, que Napoléon a contemplé Moscou en flammes. C'est par cette route là-bas que la Grande Armée a commencé sa retraite immortelle!

Cependant, nous voici au parvis de la cathédrale. Le métropolite de Moscou, entouré de son clergé, présente à Leurs Majestés la croix du tsar Michel-Féodorowitch, premier des Romanow, et l'eau bénite.

Nous pénétrons dans l'Ouspensky Sobor. L'édifice, de plan carré, surmonté par un dôme gigantesque que soutiennent quatre piliers massifs, est entièrement recouvert de fresques sur fond d'or. L'iconostase, haute muraille de vermeil, est tout incrusté de pierres précieuses. La faible clarté, qui tombe de la coupole, et le scintillement des cierges entretiennent dans la nef une pénombre rutilante et fauve.

L'empereur et l'impératrice se placent devant l'ambon de droite, au pied du pilier où s'adosse le trône des Patriarches.

Dans l'ambon de gauche, les chantres de la cour, en costume du seizème siècle, argent et bleu pâle, entonnent les admirables hymnes liturgiques du rite orthodoxe, les plus beaux chants peut-être de la musique sacrée.

Au fond de la nef, en face de l'iconostase, les trois métropolites de Russie et douze archevêques sont alignés. A leur gauche, dans tout le bas côté, cent dix évêques, archimandrites et higoumènes sont groupés. Une richesse fabuleuse, une profusion inouïe de diamants, de saphirs, de rubis, d'améthystes, resplendit sur le brocart des mitres et des dalmatiques. Par instants, l'église rayonne d'un éclat surnaturel.

Buchanan et moi, nous sommes placés tous deux à la gauche de l'empereur, en avant de la cour.

Vers la fin du long office, le métropolite apporte à Leurs Majestés un crucifix contenant un morceau de la vraie croix, qu'Elles baisent pieusement. Puis, au travers d'un nuage d'encens, la famille impériale défile autour de la cathédrale, pour s'agenouiller devant les reliques illustres et les tombes des patriarches.

Pendant ce défilé, j'admire l'allure, les attitudes, les prosternements de la grande-duchesse Élisabeth. Malgré qu'elle approche de la cinquantaine, elle a gardé toute sa grâce et sa sveltesse d'autrefois. Sous ses voiles flottants de laine blanche, elle est aussi élégante et séduisante que jadis, avant son veuvage, au temps où elle inspirait les passions profanes... Pour embrasser l'image de la Vierge de Wladimir, qui est encastrée dans l'iconostase, elle a dû poser le genou sur un banc de marbre, assez élevé. L'impératrice et les grandes-duchesses, qui la précédaient, s'y étaient prises à deux fois et non sans quelque gaucherie, afin de se hausser jusqu'à le célèbre icone. Elle l'a fait d'un seul mouvement, souple, aisé, majestueux.

Maintenant, l'office est achevé. Le cortège se reforme; le clergé passe en tête. Un dernier chant, d'une envolée superbe, remplit la nef. La porte s'ouvre.

Dans un éblouissement de soleil, tout le décor de Moscou se déploie soudain. Tandis que la procession se déroule, je songe que, seule, la cour de Byzance, à l'époque de Constantin Porphyrogénète, de Nicéphore Phocas, d'Andronic Paléologue, a connu des spectacles d'une pompe aussi grandiose, d'un hiératisme aussi imposant.

A l'extrémité de la passerelle tendue de pourpre les voitures de la cour attendent. Avant d'y monter, la famille impériale reste quelque temps exposée aux acclamations frénétiques de la foule. L'empereur nous dit, à Buchanan et à moi:

— Approchez-vous de moi, messieurs les ambassadeurs. Ces acclamations s'adressent à vous autant qu'à ma personne.

Sous la rafale des cris enthousiastes, nous parlons, tous les trois, de la guerre commencée. L'empereur me félicite de l'admirable élan qui anime les troupes françaises et me réitère l'assurance de sa foi absolue dans la victoire finale. L'impératrice cherche à me dire quelques paroles aimables. Je l'aide:

— Quel spectacle réconfortant pour Votre Majesté! Comme tout ce peuple est beau à voir dans son exaltation patriotique, dans sa ferveur pour ses souverains!

Elle répond à peine; mais la constriction de son sourire et l'étrange éclat de son regard fixe, magnétique, flamboyant, révèlent son ivresse intérieure. ...

Pendant que Leurs Majestés rentrent au grand palais, nous sortons, Buchanan et moi, du Kremlin, au milieu des ovations qui nous accompagnent jusqu'à l'hôtel.

English translation (by Holt):

Tuesday, August 18, 1914.
When I arrived at Moscow this morning I went with Buchanan about half-past ten to the great Kremlin Palace. We were ushered into the St. George's hall, where the high dignitaries of the empire, the ministers, delegates of the nobility, middle classes, merchant community, charitable organizations, etc., were already assembled in a dense and silent throng.

On the stroke of eleven o'clock the Tsar, the Tsaritsa and the imperial family made their ceremonial entry. The grand dukes had all gone to the front, and besides the sovereigns there were only the four young grand duchesses, the Tsar's daughters, the Tsarevitch Alexis, who hurt his leg yesterday and had to be carried in the arms of a Cossack, and the Grand Duchess Elizabeth Feodorovna, the Tsaritsa's sister, abbess of the Convent of Martha-and-Mary of Pity.

The imperial party stopped in the centre of the hall. In a full, firm voice the Tsar addressed the nobility and people of Moscow. He proclaimed that, as the traditions of his ancestors decreed, he had come to seek the moral support he needed in prayer at the relics in the Kremlin. He declared that a heroic national impulse was sweeping over all Russia, without distinction of race or nationality, and concluded:

"From this place, the very heart of Russia, I send my soul's greeting to my valiant troops and my noble allies. God is with us!"

A continuous burst of cheering was his answer.

As the imperial group moved on, the Grand Master of Ceremonies invited Buchanan and myself to follow the royal family, immediately after the grand duchesses.

Through the St. Vladimir room and the Sacred Gallery we reached the Red Staircase, the lower flight of which leads by a bridge with a purple awning to the Ouspensky Sobor, the Cathedral of the Assumption.

The moment the Tsar appeared a storm of cheering broke out from the whole Kremlin, where an enormous crowd, bare-headed and struggling, thronged the pavements. At the same time all the bells of the Ivan Veliky chimed in chorus, and the Great Bell of the Ascension, cast from the metal saved from the ruins in 1812, sent a thunderous boom above the din. Around us Holy Moscow, with her sky-blue domes, copper spires and gilded bulbs, sparkled in the sun like a fantastic mirage.

The hurricane of popular enthusiasm almost dominated the din of the bells.

Count Benckendorff, Grand Marshal of the Court, came up to me and said:

"Here's the revolution Berlin promised us!"

In so saying he was probably interpreting everyone's thoughts. The Tsar's face was radiant. In the Tsaritsa's was joyous ecstasy. Buchanan whispered:

"This is a sublime moment to have lived to see! Think of all the historic future being made here and now!"

"Yes, and I'm thinking, too, of the historic past which is seeing its fulfilment here. It was from this very spot on which we now stand that Napoleon surveyed Moscow in flames. It was by that very road down there that the Grand Army began its immortal retreat!"

We were now at the steps of the cathedral. The Metropolitan of Moscow, surrounded by his clergy, presented to their Majesties the cross of Tsar Michael Feodorovitch, the first of the Romanovs, and the holy water.

We entered the Ouspensky Sobor. This edifice is square, surmounted by a gigantic dome supported by four massive pillars, and all its walls are covered with frescoes on a gilded background. The iconostasis, a lofty screen, is one mass of precious stones. The dim light falling from the cupola and the flickering glow of the candles kept the nave in a ruddy semi-darkness.

The Tsar and Tsaritsa stood in front of the right ambo at the foot of the column against which the throne of the Patriarchs is set.

In the left ambo the court choir, in XVIth century silver and light blue costume, chanted the beautiful anthems of the orthodox rite, perhaps the finest anthems in sacred music.

At the end of the nave opposite the iconastasis the three Metropolitans of Russia and twelve archbishops stood in line. In the aisles on their left was a group of one hundred and ten bishops, archimandrites and abbots. A fabulous, indescribable wealth of diamonds, sapphires, rubies and amethysts sparkled on the brocade of their mitres and chasubles. At times the church glowed with a supernatural light.

Buchanan and I were on the Tsar's left, in front of the court.

Towards the end of the long service the Metropolitan brought their Majesties a crucifix containing a portion of the true cross, which they reverently kissed. Then, through a cloud of incense, the imperial family walked round the cathedral to kneel at the world-famed relics and the tombs of the patriarchs.

During this procession I was admiring the bearing and attitudes of the Grand Duchess Elizabeth, particularly when she bowed or knelt. Although she is approaching fifty, she has kept her slim figure and all her old grace. Under her loose white woollen hood she was as elegant and attractive as in the old days before her widowhood, when she still inspired profane passions. To kiss the figure of the Virgin of Vladimir, which is set in the iconostasis, she had to place her knee on a rather high marble seat. The Tsaritsa and the young grand duchesses who preceded her had had to make two attempts — and clumsy attempts — before reaching the celebrated ikon. She managed it in one supple, easy and queenly movement.

The service was now over. The procession was reformed and the clergy took their place at its head. One last chant, soaring in triumph, filled the nave. The door opened.

All the glories of Moscow suddenly came into view in a blaze of sunshine. As the procession passed out I reflected that the court of Byzantium, at the time of Constantine Porphyrogenetes, Nicephorus Phocas or Andronicus Paleologue, can alone have seen so amazing a display of sacerdotal pomp.

At the end of the covered-in passage the imperial carriages were waiting. Before entering them the royal family stood for a time facing the frantic cheers of the crowd. The Tsar said to Buchanan and myself:

"Come nearer to me, Messieurs les Ambassadeurs. These cheers are as much for you as for me."

Amid the torrent of acclamations we three discussed the war which had just begun. The Tsar congratulated me on the wonderful ardour of the French troops and reiterated the assurance of his absolute faith in final victory. The Tsaritsa tried to give me a few kind words. I helped her out:

"What a comforting insight for your Majesty! How splendid it is to see all these people swept by patriotic exaltation and fervour for their rulers!"

Her answer was almost inaudible, but her strained smile and the strange spell of her wrapt gaze, magnetic and inspired, revealed her inward intoxication. ...

As Their Majesties returned to the palace Buchanan and I left the Kremlin amidst an ovation which accompanied us to our hotel.


Above: Nicholas and Alexandra with their children.


Above: Ella.


Above: Sir George Buchanan.


Above: Maurice Paléologue.

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