Sources:
La Russie des tsars pendant la grande guerre, volume 1, pages 45 to 47, by Maurice Paléologue, 1921
An Ambassador's Memoirs, by Maurice Paléologue, translated by F. A. Holt, 1925
The diary entry:
Dimanche, 2 août 1914.
... Cet après-midi, à trois heures, je me rends au Palais d'hiver d'où, selon les rites, l'empereur doit lancer un manifeste à son peuple. Je suis le seul étranger admis à cette solennité, comme représentant de la puissance alliée.
Le spectacle est majestueux. Dans l'immense galerie de Saint-Georges, qui longe le quai de la Néwa, cinq ou six mille personnes sont réunies. Toute la cour est en costume de gala, tous les officiers de la garnison en tenue de campagne. Au centre de la salle, on a disposé un autel et l'on y a transporté l'icon miraculeuse de la Vierge de Kazan, dont le sanctuaire national de la Perspective Newsky est privé pour quelques heures. En 1812, le feld-maréchal prince Koutousow, partant pour rejoindre l'armée à Smolensk, a longuement prié devant la sainte image.
Dans un silence religieux, le cortège impérial traverse la galerie et se range à la gauche de l'autel. L'empereur me fait inviter à prendre place en face de lui, voulant ainsi, me dit-il, «rendre un public hommage à la fidélité de la France alliée.»
L'office divin commence aussitôt, accompagné par les chants si larges, si pathétiques, de la liturgie orthodoxe. Nicolas II prie avec une contention ardente qui donne à son visage pâle une saisissante expression de mysticité. L'impératrice Alexandra-Féodorowna se tient auprès de lui, le buste raide, la tête haute, les lèvres violacées, le regard fixe, les prunelles vitreuses; par instants, elle ferme les yeux, et sa face livide fait alors penser au masque d'une morte.
Après les dernières oraisons, l'aumônier de la cour lit le manifeste du tsar à son peuple, — simple exposé des événements qui ont rendu la guerre inévitable, appel éloquent à toutes les énergies nationales, imploration du Très-Haut, etc. Puis l'empereur, s'approchant de l'autel, élève la main droite vers l'Évangile, qu'on lui présente. Il est encore plus grave, encore plus recueilli, comme s'il allait communier. D'une voix lente, courte et qui appuie sur chaque mot, il déclare:
— Officiers de ma garde, ici présents, je salue en vous toute mon armée et je la bénis. Solennement, je jure que je ne conclurai pas la paix, tant qu'il y aura un seul ennemi sur le sol de la patrie.
Un fracas de hourras répond à cette déclaration, copiée sur le serment que l'empereur Alexandre Ier prononça en 1812. Pendant près de dix minutes, c'est dans toute la salle un tumulte frénétique, qui se renforce bientôt par les clameurs de la foule massée au long de la Néwa.
Brusquement, avec son impétuosité coutumière, le grand-duc Nicolas, généralissime des armées russes, se jette sur moi et m'embrasse à me broyer. Alors, c'est un redoublement d'enthousiasme, que dominent les cris de: «Vive la France! ... Vive la France! ...»
A travers la cohue qui m'acclame, j'ai grand' peine à me frayer un passage derrière les souverains et à gagner la sortie.
J'arrive enfin à la place du Palais d'hiver, où une multitude innombrable se presse avec des drapeaux, des bannières, des icons, des portraits du tsar.
L'empereur paraît au balcon. Instantément, tout le monde s'agenouille et entonne l'hymne russe. En cette minute, pour ces milliers d'hommes qui sont là prosternés, le tsar est vraiment l'autocrate marqué de Dieu, le chef militaire, politique et religieux de son peuple, le souverain absolu des corps et des âmes.
Tandis que je rentre à l'ambassade, les yeux pleins de cette vision grandiose, je ne puis m'empêcher de songer à la sinistre journée du 22 janvier 1905, où la population ouvrière de Pétersbourg, conduite par le pope Gapone et précédée aussi par les saintes images, s'était massée comme aujourd'hui devant le Palais d'hiver pour implorer «son père, le tsar», et où elle fut impitoyablement mitraillée.
English translation (by Holt):
Sunday, August 2, 1914.
... At three o'clock this afternoon I went to the Winter Palace, where the Tsar was to issue a proclamation to his people, as ancient rites decree. As the representative of the allied power, I was the only foreigner admitted to this ceremony.
It was a majestic spectacle. Five or six thousand people were assembled in the huge St. George's gallery which runs along the Neva quay. The whole court was in full-dress and all the officers of the garrison were in field dress. In the centre of the room an altar was placed and on it was the miraculous ikon of the Virgin of Kazan, brought from the national sanctuary on the Nevsky Prospekt, which had to do without it for a few hours. In 1812, Field-Marshal Prince Kutusov, before leaving to join the army at Smolensk, spent a long time in prayer before this sacred image.
In a tense, religious silence, the imperial cortège crossed the gallery and took up station on the left of the altar.
The Tsar asked me to stand opposite him, as he desired, so he said, "to do public homage in this way to the loyalty of the French ally."
Mass began at once to the accompaniment of the noble and pathetic chants of the orthodox liturgy. Nicholas II prayed with a holy fervour which gave his pale face a movingly mystical expression. The Tsaritsa Alexandra Feodorovna stood by him, gazing fixedly, her chest thrust forward, head high, lips crimson, eyes glassy. Every now and then she closed her eyes, and then her livid face reminded one of a death mask.
After the final prayer the court chaplain read the Tsar's manifesto to his people — a simple recital of the events which have made war inevitable, an eloquent appeal to all the national energies, an invocation to the Most High, and so forth. Then the Tsar went up to the altar and raised his right hand toward the gospel held out to him. He was even more grave and composed, as if he were about to receive the sacrament. In a slow, low voice which dwelt on every word, he made the following declaration:
"Officers of my guard, here present, I greet in you my whole army and give it my blessing. I solemnly swear that I will never make peace so long as one of the enemy is on the soil of the fatherland."
A wild outburst of cheering was the answer to this declaration, which was copied from the oath taken by the Emperor Alexander I in 1812. For nearly ten minutes there was a frantic tumult in the gallery, and it was soon intensified by the cheers of the crowd massed along the Neva.
Suddenly the Grand Duke Nicholas, generalissimo of the Russian armies, hurled himself upon me with his usual impetuosity and embraced me till I was half crushed. At this the cheers redoubled, and above all the din rose shouts of "Vive la France! ... Vive la France! ..."
Through the cheering crowd I had great difficulty in clearing a way behind the sovereigns and reaching the door.
Ultimately I got to [the] Winter Palace Square, where an enormous crowd had congregated with flags, banners, ikons, and portraits of the Tsar.
The Emperor appeared on the balcony. The entire crowd at once knelt and sang the Russian national anthem. To those thousands of men on their knees at that moment, the Tsar was really the autocrat appointed of God, the military, political and religious leader of his people, the absolute master of their bodies and souls.
As I was returning to the embassy, my eyes full of this grandiose spectacle, I could not help thinking of that sinister January 22, 1905, on which the working masses of St. Petersburg, led by the priest Gapon and preceded as now by the sacred images, were assembled as they were assembled to-day before the Winter Palace to plead with "their Father, the Tsar" — and pitilessly shot down.
Above: Alexandra with Nicholas and family in a procession on the day of the declaration of war, on July 20/August 2, 1914.
Above: Nicholas on the balcony of the Winter Palace giving the declaration of war.
Above: Maurice Paléologue.
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