Sources:
Treize années à la cour de Russie: Le tragique destin de Nicolas II et de sa famille, pages 138 to 144, by Pierre Gilliard, 1921
Thirteen Years at the Russian Court, pages 166 to 171, by Pierre Gilliard, translated by F. Appelby Holt, 1921
The account:
L'impératrice et les grandes-duchesses faisaient de temps en temps de courtes visites au G. Q. G. Elles logeaient dans leur train, assistaient au déjeuner de l'empereur et prenaient part à nos promenades. Le tsar, en échange, dînait chez l'impératrice et, quand il le pouvait, passait une partie de la soirée avec les siens. Les grandes-duchesses appréciaient fort ces visites à Mohilef, — toujours trop brèves à leur gré, — qui venaient apporter un petit changement à leur vie monotone et austère. Elles y jouissaient de beaucoup plus de liberté qu'à Tsarskoïé-Sélo. ...
Malheureusement la vie à Mohilef apportait un sérieux retard aux études d'Alexis Nicolaïévitch; en outre, elle était nuisible à sa santé. Il y recevait des impressions trop nombreuses et trop violentes pour une nature aussi délicate que la sienne. Il devenait nerveux, distrait, incapable de tout travail fructueux. Je fis part de mes observations à l'empereur. Tout en reconnaissant leur bien-fondé, il m'objecta que ces inconvénients étaient compensés par le fait qu'Alexis Nicolaïévitch perdait sa timidité et sa sauvagerie naturelles et que du spectacle des misères auxquelles il aurait assisté, il garderait, sa vie durant, une horreur salutaire de la guerre. Mais plus notre séjour au front se prolongeait, plus je me rendais compte du préjudice qui en résultait pour le tsarévitch. Ma position devenait difficile et à deux ou trois reprises j'avais dû intervenir très énergiquement auprès de l'enfant. J'eus le sentiment que l'empereur ne m'approuvait pas entièrement et qu'il ne me soutenait pas autant qu'il aurait pu le faire. ...
Dès mon arrivée à Tsarskoïé-Sélo, l'impératrice me fît appeler et j'eus avec elle un long entretien au cours duquel je m'efforçai de lui montrer les graves inconvénients qui résultaient pour Alexis Nicolaïévitch de ces longs séjours au front. Elle me répondit que l'empereur et elle s'en rendaient bien compte, mais qu'ils estimaient qu'il valait mieux sacrifier momentanément l'instruction de leur fils, au risque même de nuire à sa santé, que de le priver du bénéfice qu'il retirait d'autre part de sa vie à Mohilef. Elle me dit, avec une franchise qui m'étonna, que l'empereur avait tant souffert toute sa vie de sa timidité naturelle et du fait qu'ayant été tenu trop à l'écart il s'était trouvé, à la mort subite d'Alexandre III, fort mal préparé à son rôle de souverain, qu'il s'était promis d'éviter avant tout ces mêmes fautes dans l'éducation de son fils. Je compris que je me heurtais à une résolution bien arrêtée dans l'esprit des souverains et que je ne parviendrais pas à la modifier; il fut convenu néanmoins que les leçons d'Alexis Nicolaïévitch reprendraient d'une façon plus régulière à partir du mois de septembre et que je serais secondé dans mon travail.
Notre conversation terminée, l'impératrice me retint à dîner, j'étais ce soir-là le seul invité. Après le repas, nous sortîmes sur la terrasse; c'était une belle soirée d'été calme et chaude. Sa Majesté s'était étendue sur sa chaise longue et tricotait, ainsi que deux de ses filles, des vêtements de laine pour les soldats. Les deux autres grandes-duchesses travaillaient à l'aiguille. Le principal sujet de notre conversation fut naturellement Alexis Nicolaïévitch sur les faits et gestes duquel elles ne se lassaient pas de me questionner. Je passai ainsi une heure en leur compagnie dans ce cadre simple et paisible, mêlé tout à coup à l'intimité de cette vie familiale où l'étiquette ne m'avait permis de pénétrer que d'une façon si incomplète et si rare. ...
Égaré par les faux renseignements de ceux qui abusaient de sa confiance, le tsar crut voir dans l'opposition de la Douma le résultat de menées révolutionnaires et, mal conseillé, il s'imagina pouvoir rétablir son autorité par des mesures qui ne firent qu'augmenter le mécontentement général.
Mais c'est surtout contre l'impératrice qu'on menait campagne. Les pires insinuations circulaient sur son compte et commençaient à trouver crédit même dans les cercles qui jusqu'alors les avaient repoussées avec mépris. La présence de Raspoutine à la cour causait, comme je l'avais prévu, un préjudice sans cesse grandissant au prestige des souverains et donnait lieu aux commentaires les plus malveillants. On ne s'en tenait pas aux attaques dirigées contre la vie privée de l'impératrice, on l'accusait ouvertement de germanophilie et on laissait entendre que ses sympathies pour l'Allemagne pouvaient devenir un danger pour le pays. Le mot de trahison n'était pas encore sur les lèvres, mais des sous-entendus pleins de réticences montraient que le soupçon s'était implanté dans beaucoup d'esprits. C'était là, je le savais, le résultat de la propagande et des intrigues allemandes.
... Le gouvernement de Berlin s'était rendu compte, en automne 1915, qu'il ne viendrait jamais à bout de la Russie tant qu'elle resterait unie autour de son tsar, et que, depuis ce moment-là, il n'avait plus eu qu'une pensée: provoquer la révolution qui amènerait la chute de Nicolas II. En raison des difficultés qu'ils rencontraient à atteindre directement le tsar, les Allemands avaient tourné leurs efforts contre l'impératrice, et commencé sous main contre elle une campagne de diffamation très habilement conduite qui n'avait pas tardé à produire ses effets. Ils n'avaient reculé devant aucune calomnie. Ils avaient repris le procédé classique qui a fait ses preuves au cours de l'histoire, et qui consiste à frapper le monarque en la personne de la souveraine: il est en effet toujours plus facile de nuire à la réputation d'une femme, surtout quand elle est étrangère. Comprenant tout le parti qu'ils pouvaient tirer du fait que l'impératrice était une princesse allemande, ils avaient cherché, par de très habiles provocations, à la faire passer pour traître à la Russie. C'était le meilleur moyen de la compromettre aux yeux de la nation. Cette accusation avait trouvé un accueil favorable dans certains milieux russes et était devenue une arme redoutable contre la dynastie.
L'impératrice était au courant de la campagne menée contre elle et elle en souffrait comme d'une profonde injustice, car elle avait accepté sa nouvelle patrie, de même que sa nouvelle religion, avec tout l'élan de son cœur: elle était russe de sentiments comme elle était orthodoxe de convictions.
English translation (by Holt):
From time to time the Czarina and the Grand-Duchesses paid short visits to G. H. Q. They lived in their train, but joined the Czar at lunch and came with us on our excursions. The Czar in return dined with the Czarina and spent part of the evening with his family whenever he could. The Grand-Duchesses greatly enjoyed these visits to Mohileff — all too short to their taste — which meant a little change in their monotonous and austere lives. They had far more freedom there than at Tsarskoïe-Selo. ...
Unfortunately, life at Mohileff grievously interrupted Alexis Nicolaïevitch's studies and was also bad for his health. The impressions he gained there were too numerous and exciting for so delicate a nature as his. He became nervous, fretful, and incapable of useful work. I told the Czar what I thought. He admitted that my objections were well founded, but suggested that these drawbacks were compensated for by the fact that his son was losing his timidity and natural wildness, and that the sight of all the misery he had witnessed would give him a salutary horror of war for the rest of his life.
But the longer we stayed at the front the stronger was my conviction that it was doing the Czarevitch a lot of harm. My position was becoming difficult, and on two or three occasions I had to take strong steps with the boy. I had an idea that the Czar did not entirely approve, and did not back me up as much as he might have done. ...
As soon as I arrived at Tsarskoïe-Selo the Czarina summoned me, and I had a long talk with her, in the course of which I tried to show the grave disadvantages for Alexis Nicolaïevitch of his long visits to the front. She replied that the Czar and herself quite realised them, but thought that it was better to sacrifice their son's education temporarily, even at the risk of injuring his health, than to deprive him of the other benefits he was deriving from his stay at Mohileff. With a candour which utterly amazed me she said that all his life the Czar suffered terribly from his natural timidity and from the fact that as he had been kept too much in the background he had found himself badly prepared for the duties of a ruler on the sudden death of Alexander III. The Czar had vowed to avoid the same mistakes in the education of his son.
I realised that I had come up against a considered decision, and was not likely to secure any modification. All the same, it was agreed that Alexis Nicolaïevitch's lessons should be resumed on a more regular plan at the end of September, and that I should receive some assistance in my work.
When our conversation was over the Czarina made me stay behind to dinner. I was the only guest that evening. After the meal we went out on the terrace. It was a beautiful summer evening, warm and still. Her Majesty was stretched on a sofa, and she and two of her daughters were knitting woollen clothing for the soldiers. The two other Grand-Duchesses were sewing. Alexis Nicolaïevitch was naturally the principal topic of conversation. They never tired of asking me what he did and said. I spent an hour thus in this homely and quiet circle, suddenly introduced into the intimacy of that family life which etiquette had forbidden me from entering, save in this casual and rare fashion. ...
Frightened by the false reports of those who abused his confidence, the Czar began to regard the opposition of the Duma as the result of revolutionary agitation, and thought he could re-establish his authority by measures which only swelled the general discontent.
But it was the Czarina who was the special object of attack. The worst insinuations about her conduct had gained currency and were believed even by circles which hitherto had rejected them with scorn. As I have said, the presence of Rasputin at Court was a growing blot on the prestige of the sovereigns, and gave rise to the most malicious comments. It was not as if the critics confined themselves to attacks upon the private life of the Czarina. She was openly accused of Germanophile sympathies, and it was suggested that her feelings for Germany could become a danger to the country. The word "treason" was not yet heard, but guarded hints showed that the suspicion had been planted in a good many heads. I knew that all this was the result of German propaganda and intrigues.
... In the autumn of 1915 the Berlin Government had realised that they could never overthrow Russia as long as she stood united round her Czar, and that from that moment her one idea had been to provoke a revolution which would involve the fall of Nicholas II. In view of the difficulties of attacking the Czar directly, the Germans had concentrated their efforts against the Czarina and began a subterranean campaign of defamation against her. It was skilfully planned and began to show results before long. They had stopped at nothing in the way of calumny. They had adopted the classic procedure, so well known to history, of striking the monarch in the person of his consort. It is, of course, always easier to damage the reputation of a woman, especially when she is a foreigner. Realising all the advantages to be derived from the fact that the Czarina was a German princess, they had endeavoured to suggest very cunningly that she was a traitor to Russia. It was the best method of compromising her in the eyes of the nation. The accusation had been favourably received in certain quarters in Russia and had become a formidable weapon against the dynasty.
The Czarina knew all about the campaign in progress against her and it pained her as a most profound injustice, for she had accepted her new country, as she had adopted her new faith, with all the fervour of her nature. She was Russian by sentiment as she was orthodox by conviction.
Above: Alexandra. Photo courtesy of Ilya Grigoryev at lastromanovs on VK.
Above: Olga, Tatiana, Maria and Anastasia. Photo courtesy of Ilya Grigoryev at lastromanovs on VK.
Above: Nicholas. Photo courtesy of Ilya Grigoryev at lastromanovs on VK.
Above: Pierre Gilliard with Alexei. Photo courtesy of Ilya Grigoryev at lastromanovs on VK.
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